La Gauche populaire : plus de République, moins de "société"

Publié le par lavaguevilleurbanne

ARTICLE DU COLLECTIF "GAUCHE POPULAIRE", paru dans Marianne :

Samedi 12 Mai 2012 - Laurent Macaire et Nicolas Lebourg - Gauche populaire
Pour le collectif Gauche populaire, dont nous publions la tribune, l'élection de François Hollande est une bonne nouvelle. Conscient des défis que le nouveau président de la République et son équipe doivent relever, dont l'inquiétude des classes populaires sur la situation économique et la mondialisation, la gauche pop incite Hollande à un retour à Jaurès, c'est-à-dire à la République.

 

Durant et après les élections présidentielles, les membres de la Gauche populaire (GP) ont apporté leur contribution à l’analyse du vote. Dans la gauche morale comme dans la gauche radicale, cela a mené à des interrogations quant à notre positionnement. À l’heure où la gauche entre en responsabilité, le débat d’idées est d’importance. Néanmoins, face à certaines confusions apparues, il nous semble important de préciser d’où parle la GP et vers où elle pense que la gauche doit aller.

D’où vient la Gauche populaire ?

(...) Pour tous les membres, répondre à la montée du populisme supposait de rompre avec le social-libéralisme qui avait progressivement rempli le vide à gauche. Il avait pris la place d’une social-démocratie épuisée par vingt années de crise et l’avènement d’un capitalisme actionnarial et globalisé. La principale conséquence de cette nouvelle hégémonie idéologique était la rupture politique avec les catégories populaires au profit des minorités. La coalition de toutes ces minorités devait faire litière des antiquités du siècle passé : le peuple, les classes sociales et la nation. Il y eut un sursaut avec la parution de l’ouvrage Plaidoyer pour une gauche populaire, auquel contribuèrent des auteurs du collectif (Philippe Guibert, Laurent Bouvet et Alain Mergier). Une ligne politique claire s’est imposée à nous : le commun plutôt que les identités, le social avant le sociétal, l’émancipation collective plus que l’extension infinie des droits individuels, seule cette ligne politique permettant de bâtir une majorité sociologique et électorale. La gauche ne peut plus se satisfaire d’abandonner les catégories populaires au Front national (FN) ou à l’abstention. (...)

L’insécurité culturelle aujourd’hui

Le score de Marine Le Pen renvoie tant à des explications économiques et sociales qu’à des variables culturelles (peur de l’immigration, des transformations du « mode de vie », de l’effacement des frontières nationales). Il importe de saisir que si cette insécurité culturelle est inséparable dans son appréhension, notamment dans les catégories populaires, de la dimension économique et sociale, elle s’en distingue tout de même. C’est à cette préoccupation-là que la stratégie « Buisson » (du nom du conseiller de Sarkozy issu de la droite dure) devait s’adresser autour du ciblage des musulmans et de leur « mode de vie » comme menace pour l’identité nationale (viande halal, prières de rue, burqa, etc.). L’original en a, comme attendu, davantage bénéficié que la copie. (...)
L’élément structurant de cette élection était et reste l’inquiétude très forte des classes populaires sur la situation économique et la mondialisation. Une inquiétude multiforme, que la gauche a pour le moment du mal à traduire, à penser, et sur laquelle elle peut difficilement s’appuyer pour consolider son socle électoral même après le vote. L’atomisation du travail a répondu à l’individualisation des modes de vie. En effet, c’est cette « France périphérique », celle d’un monde rural et périurbain délaissé, notamment par le désinvestissement dans les services publics, celle des villes moyennes touchées par la désindustrialisation et les plans sociaux à répétition, qui vit un véritable abandon démocratique.
Depuis des années, le traitement de la destruction du peuple social se limite à des opérations symboliques vis-à-vis de certains de ses segments. Pour le seul exemple de la cause des femmes, alors que cette élection a été marquée par un quasi-alignement du vote féminin sur le masculin pour le FN, on agite la question de quotas dans les conseils d’administration des grandes entreprises (une mesure certes discutable) plutôt que de s’attaquer au fait que les femmes représentent l’essentiel de l’armée de travailleurs partiels dans l’industrie.
Ainsi, la victoire de la gauche à l’élection présidentielle de 2012 n’a pas soldé le débat idéologique à gauche, bien au contraire. La puissance du score de Marine Le Pen et le bon score de Nicolas Sarkozy, en dépit d’une campagne radicale, démontrent la nécessité d’une réarticulation programmatique. La financiarisation et la planétarisation de l’économie ont depuis quarante ans liquidé les structures unitaires de la société française. La guerre de tous contre tous entretenue par le chômage de masse, la liquidation des grands récits et de l’encadrement des masses par des idéologies structurées, l’annihilation de l’ascenseur social, la déconstruction de l’histoire nationale au bénéfice de mémoires communautarisées, la réduction de la souveraineté populaire à l’opinion publique, puis de celle-ci à des segments communautaires : ce qui faisait République a été tellement mis en cause que nombre de nos concitoyens en sont venus à estimer que l’extrême droite pouvait en représenter la sauvegarde.
Pourquoi dans ses précédents exercices de pouvoir la gauche ne l’a-t-elle pas saisie, et y a-t-elle perdu une grande part des classes populaires ? L’insécurité culturelle n’est pas un thème identitaire destiné à masquer la question sociale comme le ferait la Droite populaire, mais relève d’une question économique qui a une implication culturelle et dont la Gauche populaire se soucie. En effet, celle-ci est connectée à la question sociale : être de gauche, c’est d’abord se soucier de la question sociale. En somme, nous disons qu’il faut aujourd’hui construire une synthèse jauréssienne de l’ère postindustrielle et postmoderne : plus de République, moins de société. Notre constitution décrit un pays qui nous est devenu lointain quand elle proclame « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». C’est pourtant ce programme, et lui seul, qui peut permettre au politique, et singulièrement à la gauche, de renouer avec le peuple. La déconstruction des solidarités sociales et économiques a engendré une insécurité culturelle à laquelle le repli identitaire ne peut aucunement répondre. Il s’agit, bien au contraire, que la République, comme ordre politique, et la justice sociale, comme principe organisant l’économie, viennent répondre à la passion égalitaire des Français.

Demain, la gauche

Se dessine un faux débat entre une droite identitaire qui l’est par ethno-nationalisme et une gauche identitaire qui l’est sur son identité politique qu’elle considère comme progressiste-sociétale avant que d’être sociale et républicaine. Or, le droit de votes des étrangers ou la charte des langues régionales sont des éléments dont chacun peut débattre au sein d’un programme républicain et social. Ils peuvent, selon les affinités philosophiques, être validés ou non. En revanche, ce qui ne souffre pas de doute, est que si la gauche se limitait à ces éléments sociétaux, sa cause serait entendue dans l’avenir… Les questions de société doivent être considérées comme une simple partie d’un tout devant relever de la passion égalitaire et où le traitement de la question sociale doit être le fait dominant.

(...) Au fond, ce qui relie « gauche » et « populaire » c’est la République dans sa dimension sociale et la nation dans sa seule version universaliste. Nous ne proposons rien d’autre qu’un plaidoyer pour les valeurs des Lumières et de la République. Nous voulons que la gauche, qui vient de revenir au pouvoir, remette le salut du peuple au centre de son action. Il en va aussi de l’intérêt de la gauche si elle veut cesser d’être un intermittent du pouvoir et un levain des extrêmes.
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