Petite thérapie contre le complotisme
Mais il n'est nullement interdit de contester la pensée unique des médias dominants, ça non !
Enquête sur les théories du complot (1/4) : L'Etat et les autres
9 août 2012 |
(...) Pour ne s'en tenir qu'à l'ordre chronologique d'apparition des principaux présumés comploteurs, et en faisant abstraction des collectionneurs de timbres, ce sont, tour à tour, les Jésuites, les Franc-maçons, les Juifs, les communistes, les extra-terrestres, le groupe Bilderberg, la CIA, et l'on en passe, qui ont été incriminés.
Ces grandes théories du complot, vision globale, récit se voulant cohérent de l'histoire mondiale perçue comme le produit de l'action d'un groupe occulte, ont-elles aujourd'hui plus d'adeptes qu'hier ? Rien ne permet de l'affirmer. L'historien Emmanuel Kreis, auteur de Les Puissances de l'ombre (CNRS éditions, 2009), parle ainsi « d'âge d'or du complotisme », à propos du tournant des XIXe et XXe siècle.
Plus modestes dans leur ambition, mais aussi bien plus répandues, sont les petites théories du complot. Que survienne un événement frappant, marquant, souvent traumatisant, de l'accident de voiture de Lady Diana aux assassinats perpétrés par Mohammed Merah, en passant par les attentats du 11 septembre 2001 et le tsunami japonais de mars 2011, et des explications alternatives à la « version officielle » apparaissent aussitôt. On nous ment, on nous enfume, la vérité est qu'il y a eu complot, des services secrets britanniques, français, américains, israéliens…
Contrairement aux rumeurs, ces récits ne se contentent pas d'être colportés. Ils entendent être d'authentiques théories, appuyées sur des faits et rendant compte de ce qui s'est réellement passé. Ils cherchent à démontrer l'existence d'un complot entendu, pour suivre la définition de Peter Knight, de l'université de Manchester dans son livre Conspiracy Theories in American History : An Encyclopedia (ABC-Clio, 2003), comme le fait qu'« un petit groupe de gens puissants se coordonne en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et néfaste affectant le cours des évènements ».
Ces petites théories du complot ont clairement bien plus d'adeptes que les grandes théories conspirationnistes. Bon an mal an, trois quarts des Américains se disent ainsi persuadés que le président John Fitzgerald Kennedy a été victime d'un complot – et la liste de ses instigateurs est au moins aussi longue que la bibliographie relative à l'événement – et non d'un tireur isolé. Autre exemple : en 1999, 6 % des Américains pensaient que les missions Apollo avaient été truquées et qu'aucun astronaute n'avait jamais mis le pied sur la Lune, un pourcentage qui bondit à 20 % après la diffusion en 2001 par Fox TV du documentaire Conspiracy Theory : Did We Land on the Moon ?
Mais ces mouvements d'opinion peuvent se produire dans les deux sens. Sidérés par l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York, 57 % des Français estimaient en mai dernier l'ancien directeur du FMI victime d'un complot. Une thèse qui a sans doute perdu la plupart de ses partisans avec la multiplication des informations sur la vie privée de DSK.
L'invocation de théories du complot reste classique chez toutes les extrême droites du monde, toujours promptes à dénoncer un des innombrables avatars du parti de l'étranger, mais se rencontre désormais aussi à gauche. (...)
La revue Alternative libertaire a également consaré un dossier au conspirationnisme dans son édition de novembre 2009, dénonçant clairement son influence parmi certains sympathisants du mouvement. « Aujourd’hui, le conspirationnisme est le nouveau “socialisme des imbéciles”, qui sous couvert de subversion, simplifie le monde, instille de l’irrationnel dans la pensée, discrédite la critique sociale radicale, et au bout du compte décourage toute action collective – à quoi bon agir en effet puisque “tout est joué d’avance” par les “maîtres occultes” ? Comme les diverses religions et superstitions, le conspirationnisme est un ennemi, et il est temps de le dire », écrivait la revue. (...)
Pla gauche, en partie sa fraction la plus radicale, c'est désormais des États, et en particulier du plus puissant d'entre eux, les États-Unis, que partent les complots, avec de surcroit l'avantage de pouvoir appuyer l'argumentation sur une liste avérée d'opérations secrètes menées par la superpuissance américaine. Depuis une vingtaines d'années, ce n'est plus une organisation secrète internationale qui est accusé de comploter contre un Etat nation ; c'est le plus puissant de ces Etats qui comploterait contre l'humanité entière. Telle est du moins l'idée qui a pris corps sur internet, devenu en quelques années une formidable caisse de résonance pour les théories conspirationnistes.